La musique en ligne

 

Après l’iTunes Music Store d’Apple [1] c’est au tour de Sony de lancer en Europe son site de vente de musique en ligne : le Sony Connect Europe, ouvert en Europe depuis le 5 juillet. Mine de rien, une période de profonds changements dans l’industrie du disque vient de commencer.

Jusqu’à présent, le problème du paiement des droits faisait que, faute d’accord des maisons de disques ou des sociétés d’auteurs, seul le téléchargement illégal de musique était possible... Ce qui n’était pas très bon pour la réputation d’internet.

Certes, le téléchargement de fichiers musicaux sur internet est encore très minoritaire par rapport aux supports traditionnels (CD principalement). Pour pouvoir écouter ces fichiers, de type MP3 ou MP4 [2], il n’est certes pas indispensable d’avoir un baladeur MP3. La sortie audio de l’ordinateur peut généralement être branchée directement sur une chaîne Hi-Fi. Mais encore faut-il disposer d’un ordinateur et d’une connexion internet, de préférence à haut débit.

Il y a donc encore peu de Français qui utilisent cette possibilité ou qui en voient l’intérêt. Après le passage du microsillon au CD, faut-il encore changer de technologie ? Et pour quels avantages ?

 

Achat à l’unité

 

Le téléchargement n’est pas une technologie qui remplace le CD : celui-ci restera une forme de stockage de la musique. Mais il n’est plus nécessaire pour sa distribution.

L’une des principales différences pratiques entre l’achat de musique sur internet et sur support matériel, c’est que l’on peut acheter un seul morceau et non un album complet.

C’est souvent un avantage : il n’est pas rare qu’on achète un disque seulement parce qu’on voulait avoir tel ou tel morceau. C’est particulièrement le cas en musique classique, les disques étant souvent des compilations d’œuvres différentes.

Un deuxième avantage, c’est que si l’on achète un album complet, on le paye sensiblement moins cher que sur CD.

 

Le prix

 

Le prix d’un titre est généralement de 0,99 €. C’est plus cher que le "prix au morceau" d’un CD classique, mais avec l’avantage qu’on peut se faire ses propres compilations.

Le prix d’un album varie, de 8,99 € sur Nupha musicstore (le premier site de musique en ligne apparu en France [3]) à 9,99 € sur l’iTunes Music Store, avec quelques albums un peu plus chers. Les prix du Sony Connect Europe sont variables selon l’album.

Dans ce cas l’économie est plus sensible puisqu’on trouve rarement en France de nouveautés en CD à moins de 15 €.

 

Petites et grandes manœuvres

 

Il est certain que la suppression de certains coûts de fabrication a permis de réduire le prix de vente. Mais ce qui explique avant tout cet avantage, c’est que les fournisseurs de ces services (Apple et bien entendu Sony qui est aussi une maison de disques !) ont fait pression sur les grandes maisons de disques, les "majors[4], pour qu’elles consentent une réduction de leurs marges.

Celles-ci sont confrontées depuis l’an dernier à une baisse alarmante des ventes de CD (-10% dans le monde en 2003, -16% en France, voir cette étude) et accusent le téléchargement illégal de musique via internet. D’autres évoquent le prix excessif des CD, mais ils sont peu entendus...

Les maisons de disques n’avaient fait jusqu’à présent que réclamer des autorités un bridage d’internet ou dans le cas des "majors" américaines, représentées par la RIAA [5], intenter des procès retentissants à quelques "pirates", pour l’exemple.

Pour diverses raisons techniques ou juridiques, il ne pouvait s’agir de solutions réalistes et durables, et la solution Apple d’un système de téléchargement légal tombait à pic.

 

Les auteurs entre deux feux

 

Dans cette affaire, les sociétés d’auteurs n’ont pas disposé du meilleur rapport de force pour faire reconnaître leurs droits. Apple est une société américaine et le droit d’auteur n’est pas reconnu aux Etats-Unis. Seul existe le "copyright", droit de reproduction, qui est en quelque sorte un droit d’éditeur.

Tandis qu’en Europe continentale, on considère qu’une œuvre est la propriété naturelle, donc inaliénable, de son auteur, les Etats-Unis considèrent qu’elle est la propriété de celui qui a acheté les droits (voir le document joint en bas de l’article). L’auteur qui n’a pas de contrat avec un éditeur peut être spolié en toute légalité.

Dans ce contexte, la négociation se déroulait entre Apple et la RIAA, celle-ci étant sur la défensive. Il n’y a pas eu d’accord entre Apple et Sony, on devine pourquoi... l’ouverture en Europe fut plus difficile, car les sociétés d’auteurs avaient leur mot à dire. Un accord vient malgré tout d’être conclu (voir la SACEM), espérons-le dans l’intérêt des auteurs et... des consommateurs-auditeurs !

Il est d’ores et déjà flagrant que les "majors" vont tenter de faire subir aux artistes les réductions qu’elles ont dû consentir pour l’iTunes Music Store ou le Sony Connect [6].

 

Débuts prometteurs

 

Dès la première semaine, l’iTMS a vendu 800 000 titres en Europe. Depuis son ouverture aux Etats-Unis, il est à 100 millions de titres vendus dans le monde. Il y a donc une réelle demande.

L’arrivée du Sony Connect Europe va sans doute encore multiplier les ventes, en raison du grand nombre de balladeurs numériques Sony déjà vendus (Apple s’est aussi appuyé sur le succès de son balladeur numérique iPod).

L’apparition d’une concurrence entre Apple et Sony n’aura sans doute pas d’influence sur les prix : ceux-ci ont été âprement négociés avec les maisons de disques, et ne sont pas prêts d’être remis en cause.

Par contre, elle est l’occasion pour les petits labels de se lancer dans l’expérience : 150 indépendants ont signé avec Sony un accord qu’ils refusaient avec Apple. Il n’est pas certain que les intérêts des nouveaux auteurs seront défendus au mieux, mais l’heure n’est plus de toute façon à affronter la musique en ligne à reculons.

 

Et la qualité ?

 

On dit parfois que l’enregistrement MP3 est de piètre qualité. Sans détour, il s’agit d’une rumeur lancée par les opposants au piratage ! Le MP3 et plus encore le MP4 assurent une restitution pratiquement aussi bonne que l’enregistrement sur CD audio [7]. Ils sont même probablement d’une fidélité supérieure à celle de la plupart des chaînes Hi-Fi. Car le point faible dans la restitution sonore depuis la fin du vinyle, ce n’est plus l’enregistrement lui-même, ce sont principalement les enceintes. Là, pas de mystère : pour avoir une fidélité optimale, il faut des enceintes volumineuses et lourdes. Sur une chaîne Hi-Fi haut de gamme, bien entendu l’enregistrement compressé n’est pas encore prêt à rivaliser avec le SACD [8]. La coexistence des supports matériels (CD, SACD, DVD audio) et de la musique en ligne va durer encore des années. Néanmoins, la qualité de restitution des enregistrements n’est plus un argument suffisant pour assurer la suprématie du support matériel. D’ailleurs, le DVD audio utilise lui aussi la compression des données...

 

A suivre

 

Internet d’une manière générale, par la facilité qu’il offre à diffuser toute forme de création intellectuelle (seuls les arts plastiques sont encore épargnés...) entre de plus en plus en conflit avec le droit de la propriété intellectuelle. Les règles actuelles ne sont plus adaptées et la question est de savoir si leur remise en cause se fera dans l’intérêt de tous, ou seulement de quelques puissantes sociétés.

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Les sites :

- FNAC : vends des fichiers WMA, ce qui peut nécessiter un logiciel complémentaire sur Mac ;

- iTunes Music Store : compatible Mac et PC ;

- Sony Connect Europe : compatible PC seulement ("truc" pour les utilisateurs Macintosh : en désactivant JavaScript sur votre navigateur, vous pouvez visiter le site !) ;

- Napster : pas d’achat possible en France, compatible PC seulement ;


[1] ouvert à l’achat depuis le 15 juin en France, en Allemagne et au Royaume-Uni

[2] Abréviations de MPEG-3 et MPEG-4 qui sont des formats d’encodage numérique de musique comprimée. Ils permettent de faire tenir sur un CD-ROM dix fois plus de musique que sur un CD Audio. Par rapport au MP3, le MP4 améliore la qualité et ajoute une gestion des droits : il n’est plus possible d’en faire un nombre illimité de copies. Le MPEG-2 est utilisé sur les DVD. MPEG signifie Motion Pictures Experts Group. C’est le groupe de travail de l’ISO concernant la compression audio/vidéo. Pour en savoir plus sur les formats : un article sur ZDnet

[3] Nupha musicstore semble avoir disparu depuis la rédaction initiale de cet article. Sans doute "coulé" par la concurrence des gros : FNAC, Apple, Sony...

[4] Les "majors" sont BMG, EMI, Universal Music, Warner... et Sony. A elles 5, elles produisent 95% des CD vendus dans le monde.

[5] Recording Industry Association of America, association de l’industrie du disque des Etats-Unis

[6] Selon un témoignage anonyme recueilli par le site Macbidouille une "major", qui n’est pas citée, encaisse les droits payés par Apple mais refuse de les reverser aux artistes, aux réalisateurs et autres ayants droits, ce qui est parfaitement illégal.

[7] En fait, il y a plusieurs qualités d’enregistrement MP3 : 128, 160 et 192 Kilobits/seconde. Dès 160, la qualité est comparable à celle du CD audio.

[8] Super Audio Compact Disc, un format qui améliore la dynamique, entre autres grâce à une fréquence d’échantillonnage supérieure à celle du CD "classique".

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